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12 Septembre – GREENBRIER

 

 

Non.

Son cri a résonné dans mon crâne. Il m’a semblé, du moins.

Ça n’en vaut pas la peine, Ethan.

Si.

C’est alors que je me suis précipité dans le couloir. Un choix, j’en avais conscience. Je prenais parti. Désormais, je me retrouvais dans un nouveau pétrin. Ça m’était égal, cependant.

Il ne s’agissait pas seulement de Lena. Elle n’était pas la première. Toute mon existence, j’avais observé mes pairs se comporter de la même façon. Ils avaient infligé un traitement identique à Allison Birch, lorsque son eczéma avait tellement empiré que personne n’avait plus voulu s’asseoir à côté d’elle à la cantine. Et au malheureux Scooter Richman, parce qu’il était le plus mauvais trombone de toute l’histoire de l’orchestre de Jackson. Si, personnellement, je n’avais jamais écrit d’insultes sur le casier de quiconque, j’en avais été le témoin passif à de multiples reprises. Ces curées m’avaient toujours dérangé. Mais pas assez pour me faire quitter la salle.

Il fallait pourtant que quelqu’un proteste. Il était inconcevable que tout un lycée se ligue pour démolir ainsi un élève. Ou une famille, une ville entière. Sauf que, bien sûr, c’était parfaitement possible, et ils le faisaient depuis la nuit des temps. C’était peut-être la raison pour laquelle on n’avait plus revu Macon Ravenwood hors de chez lui depuis bien avant ma naissance.

Je savais ce que j’étais en train d’accomplir.

Non. Tu le crois, mais tu te trompes.

Une fois encore, elle s’invitait dans ma tête. Comme si elle y avait toujours été.

Je devinais ce qu’il me faudrait affronter le lendemain, mais je m’en moquais comme d’une guigne. Tout ce qui comptait, c’était de la retrouver. Sur le moment, je n’aurais pu dire si je le faisais pour elle ou pour moi. Quoi qu’il en soit, ça me paraissait indispensable.

Hors d’haleine, je me suis arrêté au labo de biologie. Un coup d’œil a suffi à Link pour qu’il me lance ses clés en secouant la tête, sans poser de questions cependant. Les attrapant au vol, je suis reparti en courant. J’étais à peu près certain de l’endroit où elle se serait réfugiée. Si j’avais raison, elle serait allée là où personne n’irait. À sa place, c’est là-bas que j’aurais filé.

Chez elle. Même si c’était Ravenwood Manor, même si rentrer à la maison équivalait à rentrer chez le Boo Radley de Gatlin.

 

La demeure a surgi devant moi, menaçante. Elle était plantée sur la colline, tel un défi. Elle ne m’inspirait pas de peur, ce n’est pas le mot exact. La peur, je l’avais éprouvée quand les flics avaient frappé à notre porte, le soir où ma mère était morte. Lorsque mon père s’était enfermé dans son bureau et que j’avais compris qu’il n’en ressortirait plus jamais vraiment. Et, dans mon enfance, les fois où Amma virait au noir ; le jour où j’avais fini par saisir que les poupées qu’elle fabriquait n’étaient pas des jouets.

Je ne craignais pas Ravenwood, même si la propriété devait se révéler aussi effrayante qu’elle en avait l’air, l’inexplicable était une sorte de donnée, dans le Sud. Toute ville possédait sa maison hantée. Interrogez les gens, et le tiers d’entre eux au moins assureraient avoir croisé un ou deux fantômes au cours de leur existence. Par ailleurs, je vivais avec Amma, dont les croyances impliquaient de peindre nos volets en bleu afin d’éloigner les esprits et dont les gris-gris consistaient en sachets de poussière mêlée à du crin de cheval.

M’approchant de la grille, j’ai posé une main hésitante sur le fer forgé abîmé. Le battant s’est ouvert en grinçant. Rien ne s’est produit. Pas d’éclair, pas de combustion, pas d’orage. J’ignore ce à quoi je m’attendais, mais le peu que je connaissais de Lena m’avait appris à m’attendre à l’inattendu et à agir avec prudence.

Quelqu’un m’aurait prédit, un mois auparavant, que je franchirais cette grille, que je grimperais cette colline, que je mettrais le pied sur le territoire de Ravenwood, j’aurais traité ce quelqu’un de fou. Habitant une ville telle que Gatlin où tout était prévisible, je n’y aurais pas cru. La fois précédente, je m’étais arrêté à la clôture. À présent, la déchéance des lieux me sautait à la figure. Ravenwood Manor était un stéréotype de plantation sudiste comme les gens du Nord se l’imaginaient après avoir vu à l’envi des films comme Autant en emporte le vent.

Pourtant, la demeure restait impressionnante ; par l’échelle du moins. Flanquée de palmiers et de cyprès, elle évoquait des journées passées sur la véranda à boire des mint juleps et à jouer aux cartes. Enfin, elle aurait évoqué ce genre de scène si elle n’avait pas menacé ruine. Si elle n’avait pas été Ravenwood.

C’était une grande chose à l’antique, assez rare à Gatlin. La ville était pleine de maisons de ce style qu’on appelle Fédéral, typique des débuts de l’histoire américaine. Du coup, Ravenwood se distinguait encore plus comme la verrue qu’elle était. D’énormes colonnes doriques dont la peinture blanche s’écaillait à force de négligence soutenaient un toit à la pente trop raide d’un côté, ce qui donnait l’impression que toute la structure était bancale, comme une vieille femme arthritique. La véranda couverte se fendillait et se détachait du bâtiment principal, comme si elle menaçait de s’écrouler, pour peu qu’on l’arpente. Le lierre qui poussait sur les murs était si dense que, en certains endroits, il dissimulait les fenêtres. Comme si le terrain avait avalé la maison, tentait de la réduire en poussière, cette même poussière sur laquelle elle avait été érigée.

Un linteau surplombait l’entrée, gravé de symboles. D’après ce que j’en distinguais, on aurait dit des cercles et des croissants, les phases de la lune, peut-être. J’ai posé un pied prudent sur une marche gémissante, histoire de mieux les étudier. Les linteaux ne m’étaient pas totalement étrangers. Ma mère avait été historienne, spécialiste de la guerre de Sécession. Elle n’avait pas manqué d’attirer mon attention sur ces divers poitrails, lors de nos innombrables pèlerinages sur des sites historiques à une journée de voiture de Gatlin. D’après elle, ils étaient monnaie courante dans les vieilles maisons et les châteaux, en Angleterre ou en Écosse, par exemple. Des contrées dont étaient originaires certains habitants de chez nous avant que… eh bien, avant qu’ils ne soient de chez nous.

Mais c’était la première fois que j’en voyais un sculpté de symboles et non de maximes. Ceux-ci avaient des allures de hiéroglyphes et entouraient un unique mot tiré d’une langue que je ne connaissais pas. Il avait sûrement signifié quelque chose pour les générations de Ravenwood ayant vécu en ces lieux avant qu’ils ne tombent en déliquescence.

Aspirant un bon coup, j’ai monté deux par deux les dernières marches du perron. Cela devait réduire de cinquante pour cent les chances qu’elles cèdent sous mon poids. Un anneau en laiton suspendu à la gueule d’un lion servait de heurtoir. J’ai frappé. Une fois, deux, trois. Lena n’était pas là. Je m’étais donc trompé.

Sauf que, soudain, j’ai perçu la mélodie désormais familière. Seize Lunes. Elle était chez elle.

J’ai appuyé sur la poignée en fer rouillé. Elle a grincé, déclenchant un verrou de l’autre côté du battant. Je me suis tendu, prêt à affronter la vision de Macon Ravenwood que personne n’avait croisé en ville, du moins pas de mon vivant. La porte n’a pas cédé, cependant. J’ai levé les yeux sur le linteau. Quelque chose m’a soufflé d’insister. Après tout, que pouvait-il arriver de pire ? Que ça ne s’ouvre pas ? Suivant mon instinct, j’ai effleuré le bas-relief central, au-dessus de ma tête. Le croissant de lune. Sous la pression de mes doigts, il s’est enfoncé. C’était une sorte de ressort.

La porte s’est alors largement ouverte, sans émettre le moindre son. J’ai franchi le seuil. Le sort était jeté.

 

La lumière entrait à flots par les carreaux. Ça semblait incroyable, puisque les fenêtres étaient couvertes de lierre et de débris. Pourtant, l’intérieur de la maison était clair et flambant neuf. Nul meuble ancien, nul portrait ancestral, nul héritage datant d’avant la guerre de Sécession. À la place, des canapés et des fauteuils rebondis, des tables basses en verre surchargées de gros livres. Tellement banlieusard. Tellement moderne. Pour un peu, je me serais attendu à ce que le camion de livraison soit encore garé dehors.

— Lena ?

L’escalier circulaire n’aurait pas déparé un loft. Il semblait s’élancer bien au-dessus de l’étage, à l’infini. Je n’en distinguais pas le sommet.

— Monsieur Ravenwood ?

Ma voix a résonné, renvoyée par le haut plafond. Il n’y avait personne. En tout cas, personne ayant envie de me parler. Brusquement, un bruit a retenti derrière moi. J’ai sursauté, manquant de me casser la figure sur un fauteuil en espèce de daim.

C’était un chien noir. Ou un loup. Un animal domestique du genre effrayant, qui portait un lourd collier en cuir auquel était accrochée une lune en argent qui tintinnabulait à chaque mouvement. Il me fixait comme s’il guettait mon prochain geste. Ses prunelles étaient étranges – trop rondes, trop humaines. Il a grondé en dévoilant ses crocs. Peu à peu, le grognement a forci, se transformant en un son perçant, un cri, presque. J’ai fait ce que n’importe qui aurait fait.

Je me suis sauvé.

 

J’ai dégringolé les marches sans laisser à mes yeux le temps de s’habituer à la clarté. J’ai couru, couru le long de l’allée gravillonnée, fuyant Ravenwood Manor, fuyant le chien-loup menaçant, fuyant les symboles bizarres et la drôle de porte, regagnant la lumière trouble, rassurante et réelle de l’après-midi. Le chemin ne cessait de tourner ça et là, serpentant au milieu de champs en friche et de bosquets hérissés de buissons et de broussailles, plantés d’arbres ayant cessé d’être soignés depuis longtemps. Je me fichais de l’endroit où il m’emmenait du moment que c’était loin.

Je me suis arrêté, plié en deux, mains sur les genoux, le cœur à deux doigts d’exploser. J’avais les jambes en coton. Quand j’ai relevé la tête, j’ai aperçu les ruines d’un mur en pierre devant moi. Je distinguais à peine la cime des arbres par-dessus son faîte.

Une odeur familière flottait dans l’air. Citrons. Elle était là.

Je t’avais pourtant dit de ne pas venir.

Je sais.

Nous discutions. Sans discuter. Comme en cours tout à l’heure, je percevais sa voix dans ma tête, à croire qu’elle était tout près de moi et chuchotait à mon oreille.

Je me suis senti aller vers elle. Il y avait un jardin cerné de murs, un jardin secret, peut-être, comme ceux que racontaient les livres lus par ma mère dans son enfance, à Savannah. Ces lieux devaient être très anciens. La clôture de pierre était abîmée en certains endroits, écroulée en d’autres. Lorsque j’ai écarté la tenture de plantes grimpantes qui dissimulaient l’accès surmonté d’une vieille arche en bois pourrissant, j’ai perçu, à peine audibles, des sanglots. Je l’ai cherchée parmi les troncs et les buissons, en vain.

— Lena ?

Pas de réponse. Ma voix avait des échos étranges, comme si elle n’avait pas été mienne. J’ai arraché un rameau à l’arbrisseau le plus proche. Du romarin. Bien sûr. Et, à une branche qui me surplombait, étrangement parfait, lisse, jaune – un citron.

— C’est moi, Ethan.

Les sanglots se sont renforcés. J’étais sur la bonne voie.

— Je te le répète, va-t’en !

On aurait dit qu’elle était enrhumée. Elle devait pleurer depuis qu’elle avait quitté le lycée.

— Je sais. Je t’ai entendue.

C’était vrai. Même si j’étais incapable de l’expliquer. J’ai contourné précautionneusement le romarin, trébuchant sur les vastes racines qui émergeaient du sol.

— Ah bon ?

Un instant, elle a semblé distraite de son chagrin, comme intéressée.

— Oui.

À l’instar des rêves, je percevais sa voix. Mais, au lieu de tomber de mes bras, elle pleurait dans un jardin ensauvagé au milieu de nulle part. J’ai repoussé un enchevêtrement de branches. Elle était là, roulée en boule dans les hautes herbes, les yeux rivés sur le ciel bleu. Un bras passé au-dessus de la tête, son autre main griffant la terre, comme si elle craignait de s’envoler. Des larmes striaient ses joues.

— Dans ce cas, pourquoi ne m’as-tu pas obéi ?

— Pardon ?

— Pourquoi es-tu venu ?

— Je voulais vérifier que tu allais bien.

Je me suis installé près d’elle. La terre était étonnamment dure. Je l’ai caressée. J’ai alors découvert que j’étais assis sur une dalle de pierre lisse cachée par les herbes folles.

Au moment où je m’allongeais, Lena s’est redressée. Je me suis rassis, elle s’est laissée retomber sur le dos. Pas très habile. Moi tout craché en sa présence.

Maintenant, nous étions tous deux étendus sur le sol et contemplions le ciel qui virait au gris, sa couleur normale ici, à la saison des ouragans.

— Ils me détestent.

— Pas tous. Pas moi. Pas Link, mon meilleur ami.

Silence.

— Tu ne me connais pas. Avec le temps tu finiras par me haïr toi aussi.

— J’ai failli t’écraser, je te rappelle. Je suis obligé d’être sympa avec toi, sinon tu me feras arrêter.

Minable, la blague. N’empêche, elle lui a arraché un tout petit sourire ; le plus petit que j’aie jamais vu.

— Une priorité sur ma liste, a-t-elle acquiescé. Je vais te dénoncer au gros type qui reste assis devant l’épicerie toute la sainte journée.

Elle continuait d’observer le ciel. Je l’ai examinée.

— Laisse-leur une chance. Ils ne sont pas tous méchants. Enfin, là, tout de suite, si. Ils sont jaloux, rien de plus. Tu comprends, non ?

— Ouais, c’est ça.

— Si, je t’assure. Je le suis bien, moi.

— Alors, tu es fou. Vous l’êtes. Il n’y a pas de quoi être jaloux, à moins de vraiment tenir à déjeuner seul dans son coin.

— Tu as vécu partout.

— Et alors ? Toi, tu as sûrement fréquenté la même école et habité la même maison toute ta vie.

— C’est justement ça, le problème.

— Crois-moi, ça n’en est pas un. Les vrais problèmes, c’est mon rayon.

— Tu as visité des tas de villes, tu as vu des tas de choses. Je serais prêt à tuer pour ça.

— Ouais. Toute seule. Toi, tu as un copain. Moi, j’ai un chien.

— Mais tu n’as peur de personne. Tu agis toujours à ta guise, tu dis ce que tu as envie de dire. Ici, tout le monde a peur de toi.

Elle a tripoté le vernis noir de son index.

— Parfois, j’aimerais me comporter comme tout un chacun. Malheureusement, je ne peux pas changer celle que je suis. J’ai essayé. Mais je n’ai jamais les bonnes fringues ni le bon mot, ça tourne toujours en eau de boudin. J’aimerais seulement être moi et avoir quand même des amis qui, quand je serais absente du lycée, s’en rendraient compte.

— Pour ça, ne t’inquiète pas, ils le remarqueront. Aujourd’hui, en tout cas.

Elle a failli rire – failli.

— Et pas dans le mauvais sens du terme, ai-je précisé, en détournant les yeux.

Moi, je m’en aperçois.

De quoi ?

Si tu es ou non en cours.

— Alors, tu es vraiment cinglé.

Ses intonations, cependant, laissaient à entendre qu’elle souriait.

Avec elle, ça n’avait plus d’importance que j’aie ou pas une place réservée à la cantine. J’étais incapable de l’expliquer, mais elle, et tout ce qui allait avec, c’était plus vital. Il m’était impossible de rester là sans rien faire à les regarder la démolir. Pas elle.

— C’est toujours comme ça, tu sais ? a-t-elle enchaîné.

Elle s’adressait au ciel. Un nuage a flotté dans le gris bleu qui fonçait.

— Couvert ?

— Au bahut.

Elle a levé une main, l’a agitée. Le nuage a paru bifurquer dans la direction qu’elle lui indiquait. Du revers de la manche, elle a essuyé ses yeux.

— Je me fiche qu’ils m’apprécient. Je veux juste que leur rejet ne soit pas automatique.

Le nuage était devenu cercle.

— Ces imbéciles ? Dans quelques mois, Emily aura une nouvelle voiture, Savannah une énième couronne de reine du bal, Eden se teindra les cheveux d’une couleur différente, et Charlotte aura… disons, un bébé, un tatouage, quelque chose. Tu seras de l’histoire ancienne.

Je mentais, elle n’était pas dupe. Derechef, elle a agité la main. À présent, le nuage avait plutôt l’air d’un rond légèrement entamé, une lune à venir, peut-être.

— Je ne doute pas qu’elles soient sottes. Évidemment qu’elles le sont. Toutes ces tignasses colorées en blond, tous ces petits sacs métalliques débiles.

— Exact. Elles sont bêtes. On s’en fiche.

— Pas moi. Leur opinion m’importe. Voilà pourquoi je suis idiote, moi aussi. De façon exponentielle, je suis encore plus idiote qu’idiote. Je suis la reine des idiotes.

Elle a agité les doigts, la lune s’est éloignée.

— Je n’ai jamais entendu pareille idiotie, ai-je objecté en l’observant du coin de l’œil.

Elle a réprimé un sourire. Il y a eu une minute de silence.

— Devine ce qui est vraiment crétin, ai-je repris. J’ai des livres sous mon lit.

J’avais lâché ça comme si c’était un détail que je mentionnais souvent.

— Quoi ?

— Des romans. Tolstoï, Salinger, Vonnegut. En plus, figure-toi que je les lis. Parce que j’en ai envie.

Roulant sur le flanc, elle s’est appuyée sur un coude.

— Ah oui ? Et qu’en pensent tes copains sportifs ?

— Eh bien, ils ne sont pas au courant, et je m’arrange pour que mon jump shot reste bon.

— J’ai en effet remarqué que tu t’en tiens aux BD, en classe, a-t-elle murmuré en adoptant un ton décontracté. Silver Surfer. Je t’ai vu le lire. Avant que ce pataquès se produise, en littérature.

Tu as remarqué ?

Peut-être.

Parlions-nous ou étais-je en train de fantasmer cette conversation ? Je n’étais pas fou à ce point-là, non ? Pas encore. Lena a changé de sujet. Ou plutôt, elle est revenue au sujet.

— Moi aussi, je lis. De la poésie, pour l’essentiel.

Je l’ai aussitôt imaginée étendue sur son lit, plongée dans un poème, bien que j’aie des difficultés à envisager ce lit à l’intérieur de Ravenwood Manor.

— Vraiment ? J’ai lu un type… Bukowski.

Pour autant que deux poèmes comptent.

— J’ai tous ses livres.

Il était clair qu’elle n’avait pas envie d’évoquer ce qui s’était passé. Mais je bouillais d’en apprendre plus.

— Vas-tu finir par m’expliquer ?

— T’expliquer quoi ?

— Le coup de la fenêtre.

Longtemps, elle a gardé le silence. Elle s’est rassise, s’est mise à arracher l’herbe autour d’elle. Puis elle s’est couchée sur le ventre et m’a fixé droit dans les yeux. Elle n’était qu’à quelques centimètres de moi. Pétrifié, je me suis efforcé de saisir ses paroles.

— Je ne comprends pas exactement comment ça marche. Ce genre de choses m’arrive. Je ne les contrôle pas.

— Comme les rêves.

J’ai étudié ses traits, guettant un signe de reconnaissance.

— Comme les rêves, a-t-elle acquiescé.

Sans y réfléchir. Immédiatement après, elle a tressailli et m’a contemplé d’un air effaré. J’avais eu raison depuis le début.

— Tu te souviens d’eux.

Elle a caché son visage entre ses paumes. À mon tour, je me suis redressé.

— J’étais sûr que c’était toi. Et toi, tu avais deviné que c’était moi. Tu as tout de suite pigé de quoi je parlais.

J’ai retiré ses mains de sa figure. Une décharge a secoué mes bras.

Tu es la fille.

— Pourquoi n’as-tu rien dit, hier soir ?

Je ne voulais pas que tu saches.

Elle refusait de me regarder.

— Pourquoi ?

Ma question a résonné fort, trop fort dans la quiétude du jardin. Quand elle s’est enfin résignée à tourner la tête vers moi, elle était pâle, elle affichait une drôle d’expression. Effrayée. Ses yeux ressemblaient à la mer avant la tempête, sur les côtes de la Caroline.

— Je ne m’attendais pas à te trouver ici, Ethan. Je croyais qu’il ne s’agissait que de rêves. J’ignorais que tu existais pour de vrai.

— Sauf que, une fois que tu l’as découvert, pourquoi as-tu gardé le silence ?

— Ma vie est compliquée. Je ne veux pas te… je ne veux y mêler personne.

Je ne comprenais rien. Je n’avais pas lâché sa main ; j’avais une telle conscience de ce contact. Sentant la pierre rugueuse sous nos fesses, j’en ai saisi le rebord afin d’y trouver un soutien. Mes doigts se sont refermés sur une petite rondeur collée sur la tranche de la dalle. Un insecte, un caillou, peut-être. L’objet s’est détaché.

C’est alors que l’onde de choc m’a frappé. La main de Lena s’est resserrée autour de la mienne.

Que se passe-t-il, Ethan ?

Aucune idée.

Autour de moi, le paysage a changé. J’ai eu l’impression de me retrouver ailleurs. J’étais toujours dans le jardin, et je n’y étais plus. L’odeur des citrons s’est estompée, peu à peu remplacée par celle de la fumée…

 

Il était minuit, mais le ciel était en feu. Les hautes flammes l’illuminaient, vomissant des torrents de fumée qui avalaient tout sur leur passage. Même la lune. La terre était devenue marécage. Un sol de cendres qu’avaient détrempé les pluies ayant précédé l’incendie. Si seulement il avait plu aujourd’hui ! Genevieve toussa sous l’effet des fumées qui brûlaient sa gorge, au point de rendre sa respiration douloureuse. De la boue s’accrochait à l’ourlet de sa robe, et elle trébuchait à chaque pas sur les plis de tissu épais. Malgré tout, elle se força à avancer.

C’était la fin du monde. La fin de son monde.

Elle entendait des hurlements mêlés à des coups de feu et au rugissement acharné des flammes. Elle entendait les soldats brailler leurs ordres assassins. « Calcinez-moi ces maisons ! Que les rebelles sentent le poids de la défaite ! Qu’il ne reste rien ! »

Les hommes de l’Union avaient, l’une après l’autre, embrasé les vastes demeures des plantations à l’aide de draps et de tentures imbibés de kérosène. Genevieve avait regardé, l’une après l’autre, les propriétés de ses voisins, de ses amis, de sa famille succomber aux flammes. Dans le pire des cas, nombreux avaient été ceux qui, parmi ces amis et ces parents, avaient également péri, brûlés vifs dans les maisons qui les avaient vus naître.

Voilà pourquoi elle courait, au milieu des tourbillons de fumée, vers l’incendie, droit dans la gueule du monstre. Il fallait qu’elle parvienne à Greenbrier avant les soldats. Il ne lui restait guère de temps. Les troupes étaient méthodiques, elles suivaient le cours de la Santee et carbonisaient les habitations au fur et à mesure. Elles avaient déjà réduit en cendres Blackwell. Dove’s Crossing serait la suivante, puis Greenbrier et Ravenwood. Le général Sherman et ses armées avaient commencé à mettre le feu aux campagnes des kilomètres en amont de Gatlin. Ils avaient anéanti Columbia et continuaient leur marche vers l’est, détruisant tout ce qu’ils trouvaient sur leur chemin. Lorsqu’ils avaient atteint les abords de Gatlin, le drapeau confédéré y battait encore. Il n’en avait pas fallu plus pour ranimer leurs ardeurs.

Ce fut l’odeur qui l’informa qu’elle arrivait trop tard. Citrons. L’odeur âcre des citrons mélangée aux cendres. Ils brûlaient le verger.

La mère de Genevieve avait adoré les citronniers. Aussi, lors de sa visite d’une plantation en Georgie, son père lui en avait rapporté deux plants. Genevieve était enfant, à l’époque. Tout le monde s’était accordé à dire que les arbres ne pousseraient pas, que les froides nuits hivernales de Caroline du Sud les tueraient. Sa mère n’avait pas écouté. Elle avait installé ses arbres juste devant le champ de coton, avait veillé en personne sur eux. Durant les fameuses nuits d’hiver, elle les avait protégés avec des couvertures en laine qu’elle avait maintenues en place avec de la terre afin d’éviter l’humidité. Les citronniers avaient grandi. Si bien d’ailleurs que, au fil des ans, le père de Genevieve en avait acheté vingt-huit de plus. D’autres dames de la ville avaient demandé à leurs époux qu’ils leur en offrent aussi, quelques-unes avaient même réussi à en obtenir un ou deux. Mais aucune n’avait su comment les garder en vie. Les citronniers n’avaient paru prospérer qu’à Greenbrier, grâce aux soins de sa mère.

Rien n’avait été en mesure de les anéantir. Jusqu’à aujourd’hui.

 

— Que vient-il de se passer ?

Lena a retiré sa main de la mienne. J’ai rouvert les paupières. Elle tremblait. Baissant les yeux, j’ai déplié mes doigts, révélant l’objet que, par mégarde, j’avais arraché à la pierre.

— Je crois que ça a un rapport avec ça.

Ma paume était enroulée autour d’un vieux camée cabossé, noir, ovale. Le visage d’une femme y était gravé, en ivoire et nacre. Le travail était minutieux, nul détail des traits ne manquait. Sur le côté du bijou, il y avait un renflement.

— Regarde ! Je crois qu’il s’agit d’un médaillon.

J’ai appuyé sur le ressort, et le camée s’est ouvert sur une inscription.

— Juste GREENBRIER. Et une date.

— Qu’est-ce que Greenbrier ? a demandé Lena.

— Un lieu. Celui où nous sommes. Ce n’est plus Ravenwood, c’est la plantation voisine, Greenbrier.

— Mais cette vision ? L’incendie ? Tu as vu ça aussi ?

J’ai hoché la tête. Le spectacle avait été si horrible qu’il était dur de l’évoquer.

— Nous devons nous trouver à Greenbrier. Ce qu’il en reste, du moins.

— Montre-moi le médaillon.

Je le lui ai tendu avec délicatesse. L’objet paraissait avoir survécu à bien des avanies, voire au sinistre de notre vision. Lena l’a examiné.

 11 FÉVRIER 1865.

Elle a aussitôt lâché le bijou, a blêmi.

Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je suis née un 11 février, a-t-elle répondu en fixant le sol.

— Et alors ? C’est une coïncidence. Un cadeau d’anniversaire à l’avance.

— Rien n’est jamais coïncidence, dans ma vie.

Ramassant l’objet, je l’ai retourné. Au revers étaient engravées des initiales.

— ECW & GKD. Ce camée appartenait sûrement à l’une de ces deux personnes. Tiens, c’est bizarre. Mes initiales sont ELW.

— Ma date de naissance, tes initiales, tu ne trouves pas ça plus que bizarre ?

Elle avait peut-être raison. N’empêche…

— Nous devrions recommencer. Pour en savoir plus.

C’était comme une démangeaison qu’il me fallait gratter.

— Tu crois ? Et si c’était dangereux ? J’ai vraiment eu l’impression d’y être. J’ai les yeux qui brûlent encore, à cause de la fumée.

En effet. Bien que nous n’ayons pas bougé du jardin, le sentiment avait été celui d’être au beau milieu de l’incendie. Mes poumons étaient encrassés de suie. Mais le désir de creuser l’énigme était plus fort que tout. J’ai brandi le médaillon, j’ai tendu la main.

— Allez ! Manquerais-tu de courage ?

Un défi. Levant les yeux au ciel, elle a frôlé mes doigts. La chaleur de sa main s’est communiquée à la mienne. Chair de poule électrique. Je ne vois pas d’autres mots pour décrire cette sensation. J’ai fermé les yeux, dans l’attente. Rien. J’ai rouvert les paupières.

— Et si nous l’avions rêvé ? Ou si les piles étaient mortes ?

Elle m’a dévisagé comme si j’étais aussi bête qu’Earl Petty, qui avait été obligé de redoubler le cours d’algèbre.

— Et s’il était impossible d’exiger d’un truc pareil qu’il se reproduise au moment où tu en as envie ? a-t-elle rétorqué. Avant d’ajouter en se levant : Je dois y aller.

Elle s’est tue, m’a observé un instant, puis a repris :

— Tu sais quoi ? Tu n’es pas comme je l’espérais.

Sur ce, elle a tourné les talons et a filé entre les citronniers.

— Attends ! ai-je crié.

Elle a continué à avancer. J’ai essayé de la rattraper en trébuchant sur les racines. Au dernier arbre, elle s’est arrêtée.

— Ne fais pas ça !

— Quoi ?

— Laisse-moi tranquille. N’aggrave pas les choses.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? Sérieux, je ne pige pas.

— Laisse tomber.

— Tu crois être la seule personne compliquée au monde ?

— Non. Même si c’est un peu ma spécialité.

Elle s’apprêtait à repartir. Hésitant, j’ai posé une main sur son épaule. Le soleil avait tiédi sa peau ; je sentais l’os sous le tissu du tee-shirt et, en cet instant, elle a paru être une chose fragile, comme dans les rêves. Une étrange impression dans la mesure où, quand elle était face à moi, elle me faisait l’effet d’être incassable. À cause de ses yeux tellement extraordinaires, sans doute. Nous sommes restés ainsi un instant, puis elle a cédé, s’est tournée vers moi.

— Écoute, ai-je tenté une nouvelle fois, il se passe quelque chose, là. Les rêves, la chanson, l’odeur et, maintenant, le camée. Comme si nous étions censés être amis.

— Viens-tu de mentionner l’odeur ? s’est-elle exclamée, horrifiée. Dans la même phrase que celle où tu parles d’amitié ?

— Techniquement, c’étaient deux phrases distinctes.

Elle a toisé ma main ; je l’ai ôtée de son épaule. J’étais incapable de renoncer, cependant. Je l’ai regardée bien en face, vraiment regardée, pour la première fois je pense. Les abysses verts de ses prunelles paraissaient s’enfoncer trop loin pour que j’en atteigne jamais le fond, quand bien même j’y aurais consacré ma vie. Je me suis demandé comment la théorie d’Amma sur « les yeux fenêtres de l’âme » se serait débrouillée de cela.

Il est trop tard, Lena. Tu es déjà mon amie.

C’est impossible.

Nous sommes deux, dans cette histoire.

Non. S’il te plaît, fais-moi confiance.

Détournant la tête, elle s’est adossée à un citronnier, elle avait l’air malheureuse.

— Je sais que tu n’es pas comme eux, a-t-elle murmuré. Mais il y a des choses à mon sujet que tu n’es pas en mesure d’appréhender. J’ignore pourquoi nous partageons de tels liens. Comme toi, j’ignore aussi pourquoi nos rêves sont similaires.

— J’ai envie de comprendre ce qui se passe…

— J’aurai seize ans dans cinq mois, m’a-t-elle coupé en levant la main.

Comme d’ordinaire, un nombre y était inscrit. 151.

— Cent cinquante et un jours, a-t-elle poursuivi.

Son anniversaire. Les nombres égrenaient le compte à rebours du temps la séparant de cette date.

— Tu n’as pas idée de ce que cela signifie, Ethan. Tu n’as aucune idée de rien. Il se pourrait que je ne sois plus ici par la suite.

— Tu es ici maintenant.

Elle a fixé quelque chose derrière moi, vers Ravenwood. Quand elle a repris la parole, elle n’a pas posé les yeux sur moi.

— Aimes-tu ce poète, Bukowski ?

— Euh, oui.

— N’essaye pas.

— Pardon ?

— Telle est son épitaphe.

Sur ce, elle a franchi le mur de pierre, a disparu. Cinq mois. Si je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire, j’avais très bien identifié ce qu’elle ressentait. Au plus profond de moi.

De la panique.

Le temps que je sorte à mon tour du jardin, elle s’était volatilisée, comme si elle n’avait jamais existé, ne laissant derrière elle que des effluves de citrons et de romarin. Paradoxe – plus elle fuyait, plus j’étais décidé à la poursuivre.

N’essaye pas.

J’étais convaincu que ma propre tombe porterait une inscription toute différente.

16 Lunes
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